Anti-dilution dans les tours de financement – full ratchet et moyenne pondérée
Dans la deuxième partie de notre série de fiches d’information sur les tours de financement, nous examinons de plus près la protection anti-dilution. Une clause anti-dilution protège les investisseurs contre la dilution de leur participation en cas de dévalorisation de leur participation lors d’un tour de financement subséquent (ce que l’on appelle un « down round »). Ce but est atteint par la souscription d’actions supplémentaires par l’actionnaire dilué à la valorisation inférieure. En fonction des termes de la disposition et de la portée du tour de financement, cela peut même permettre à l’investisseur existant d’augmenter sa participation. Dans ce contexte, les termes « clause d’anti-dilution full ratchet», « clause d’anti-dilution par moyenne pondérée en base large» et « étroite » sont souvent utilisés. Une clause d’anti-dilution full ratchet protège davantage les investisseurs existants alors qu’une clause d’anti-dilution par moyenne pondérée est davantage dans l’intérêt des fondateurs (notant que l’absence de clause d’anti-dilution est généralement préférable pour les fondateurs).
La position de l’actionnaire (pouvoir de vote / participation aux bénéfices et à la liquidation) est fortement déterminée par l’importance de sa participation dans la société (c’est-à-dire le nombre d’actions qu’il détient par rapport au capital social total). Une augmentation de capital comporte donc toujours un risque de dilution des droits de vote en plus de la dilution relative au capital. Le droit suisse des sociétés donne aux actionnaires existants le droit de maintenir leur niveau de participation initial grâce à un droit préférentiel de souscription (Bezugsrecht) (art. 652b CO). À cette fin, lors de l’émission de nouvelles actions, la société doit en général toujours offrir les nouvelles actions aux actionnaires existants en premier lieu (il existe bien sûr des exceptions à ce principe). Ce droit n’est pas obligatoire et les actionnaires existants peuvent renoncer à l’exercer. En particulier, dans le cas d’investissements en phase de démarrage, les actionnaires existants et l’investisseur renoncent à leurs droits de souscription préférentiels en faveur des nouveaux investisseurs du prochain tour de financement. Néanmoins, en plus du droit de souscription préférentiel statutaire, les investisseurs cherchent souvent à se prémunir contre de telles dilutions par le biais d’une clause d’anti-dilution.
Protection anti-dilution
Tout d’abord, il convient de noter que la clause d’anti-dilution est une disposition très importante, mais également complexe et technique. La clause d’anti-dilution est principalement dans l’intérêt de l’investisseur et n’est souvent pas utilisée dans les investissements en phase de démarrage. En termes simples, la clause d’anti-dilution protège les investisseurs dans le cas où la société émet des actions à une valeur inférieure à celle des tours de financement précédents (down round).
Toute émission d’actions sera techniquement dilutive car elle divisera davantage le gâteau et réduira la participation des actionnaires/investisseurs initiaux. Toutefois, lorsqu’un tour de financement a lieu à une valeur plus élevée, les nouveaux investisseurs obtiennent une participation plus faible dans la société que les investisseurs précédents pour le même prix, alors qu’un tour de financement à une valeur plus faible permet aux nouveaux investisseurs d’acquérir une participation relativement plus importante avec un investissement relativement plus faible que les investisseurs précédents. La dilution en résultant peut donc s’avérer être disproportionnée, ceci car le nouvel investisseur est en mesure d’acquérir plus d’actions pour moins d’argent, alors que l’investissement de l’ancien investisseur perdra quant à lui en valeur en raison du down round.
Les deux variétés : l’anti-dilution par moyenne pondérée et l’anti-dilution full ratchet
Afin de protéger les premiers investisseurs de la dilution lors d’un down round, les dispositions anti-dilution prévoient que les investisseurs existants reçoivent des actions supplémentaires pour compenser le fait qu’ils ont « surpayé » lors d’un tour de financement précédent. Il existe différentes façons de calculer cette « compensation » des investisseurs initiaux, et les détails de la clause sont très importants car ils peuvent avoir un impact significatif sur le tableau de capitalisation. Il en existe deux variétés : l’anti-dilution par moyenne pondérée et l’anti-dilution full ratchet.
En présence d’une clause anti-dilution full ratchet, le prix par action payé par l’investisseur initial est effectivement réduit au prix de la nouvelle émission. Ainsi, la clause full ratchet garantit que les investisseurs actuels soient en mesure de maintenir (ou même d’augmenter) leur pourcentage de participation en cas de down round futur. Toutefois, dans l’éventualité où la société vendrait une action à quelqu’un à un prix inférieur à celui du tour précédent, toutes les actions du tour précédent seraient réévaluées (hypothétiquement) au prix de la nouvelle émission et des actions supplémentaires devraient ainsi être émises (généralement à leur valeur nominale) pour refléter cela.
La clause anti-dilution par moyenne pondérée prévoit quant à elle qu’une formule relative (pondérée) soit utilisée pour réduire hypothétiquement le prix par action payé par l’investisseur précoce par rapport au prix de la nouvelle émission, mais en tenant également compte du nombre d’actions émises lors du tour de financement (il existe des différences dans la formule de calcul du PEMP). La moyenne pondérée est une méthode permettant de trouver la valeur moyenne d’un groupe de nombres, qui tient compte du nombre de fois où chaque nombre apparaît. Cela signifie que le prix d’émission moyen pondéré (PEMP) tient compte non seulement du prix d’émission des nouvelles actions, mais aussi du nombre d’actions émises par rapport au tour de financement précédent. Comme vous pouvez le constater dans la formule ci-dessous, le « nombre total d’actions » a un impact significatif sur le prix moyen pondéré.
Prix moyen pondéré = (premier prix x actions) + (deuxième prix x actions) / nombre total d’actions
En raison de sa formule relative (que nous expliquerons dans l’exemple ci-dessous), la clause d’anti-dilution par moyenne pondérée produit un ajustement plus faible que la clause full ratchet. Dans la formule de la moyenne pondérée en base étroite, le nombre total d’actions émises est plus faible que dans la formule en base large (c’est-à-dire que les actions réservées mais non émises sont généralement exclues). Par conséquent, par rapport à la formule de la moyenne pondérée en base large, les investisseurs existants reçoivent un peu plus d’actions dites d’anti-dilution et les fondateurs sont donc plus dilués.
Aujourd’hui, la clause d’anti-dilution par moyenne pondérée est la plus courante. Nous la considérons dès lors comme la norme du marché.
Exemples pratiques pour l’anti-dilution par moyenne pondérée et full ratchet
Dans ce qui suit, nous fournissons quelques exemples pour illustrer le concept d’anti-dilution par moyenne pondérée et full ratchet.
Exemple :
Un investisseur possède 10 % d’une société dont la valorisation pre-money est de CHF 5’000’000.
Évaluation de la société = 5’000’000
Actionnaire | Nombre d’actions | Investissement | Part en % |
---|---|---|---|
Fondateur 1 | 45’000 | 45.00% | |
Fondateur 2 | 45’000 | 45.00% | |
Investisseur 1 | 10’000 | CHF 500’000 | 10.00% |
Total | 100’000 | CHF 500’000 | 100.00% |
Après le tour de financement suivant, auquel l’investisseur initial n’a pas participé, la société est évaluée à CHF 25’000’000 après un investissement de CHF 5’000’000 (c’est-à-dire post-money) par un nouvel investisseur. La participation de l’investisseur initial a donc diminué d’une proportion comprise entre 2% et 8%.
Évaluation de la société = 25’000’000
Actionnaire | Nombre d’actions | Investissement | Part en % |
---|---|---|---|
Fondateur 1 | 45’000 | 36.00% | |
Fondateur 2 | 45’000 | 36.00% | |
Investisseur 1 | 10’000 | CHF 500’000 | 8.00% |
Investisseur 2 | 25’000 | CHF 5’000’000 | 20.00% |
Total | 125’000 | CHF 5’500’000 | 100.00% |
Dans ce scénario, la participation de l’investisseur a été diluée à 8%. Cependant, comme la valeur de la société a augmenté à CHF 25’000’000, sa participation vaut maintenant CHF 2’000’000 (CHF 25’000’000*8%) par rapport à CHF 500’000 avant le nouveau tour de financement (CHF 5’000’000*10%).
Toutefois, lors d’un down round, la valeur de l’investissement du premier investisseur diminue. Si la valeur de la société a diminué à CHF 3’000’000 (post-money), un nouvel investisseur investissant CHF 500’000 recevra une participation de 16,67% de la société pour son investissement (CHF 500’000/CHF 3’000’000).
Évaluation de la société = 3’000’000
Actionnaire | Nombre d’actions | Investissement | Part en % |
---|---|---|---|
Fondateur 1 | 45’000 | 37.50% | |
Fondateur 2 | 45’000 | 37.50% | |
Investisseur 1 | 10’000 | CHF 500’000 | 8.33% |
Investisseur 2 | 20’000 | CHF 500’000 | 16.67% |
Total | 120’000 | CHF 1’000’000 | 100.00% |
En raison de l’évaluation plus basse de la société, le nouvel investisseur a reçu deux fois plus d’actions pour le même montant d’investissement de CHF 500’000. Il est vrai que la participation du premier investisseur n’a diminué que de 1,67%, passant de 10% à 8,33%. Cependant, l’investissement a perdu beaucoup de valeur. L’investissement initial de CHF 500 000 ne vaut plus que CHF 250 000 (8,33% de CHF 3 000 000), c’est-à-dire que l’investissement a perdu 50% de sa valeur.
Si les parties ont convenu d’une forme de protection anti-dilution, le prix payé par l’investisseur initial pour ses actions doit être modifié hypothétiquement afin de déterminer combien de nouvelles actions (dites d’anti-dilution) l’investisseur initial doit recevoir pour limiter sa dilution.
Variation 1 : Exemple avec une clause d’anti-dilution full ratchet :
Dans ce scénario, le même investisseur initial a réussi à négocier une protection anti-dilution full ratchet. La valeur de la société a de nouveau diminué à CHF 3’000’000 (post-money). Un nouvel investisseur investissant CHF 500’000 recevra également une participation de 16,67% dans la société pour son investissement (CHF 500’000/CHF 3’000’000). Le prix par action payé par le nouvel investisseur n’est que de CHF 25, contre CHF 50 par action pour l’investisseur initial.
Évaluation de la société = 3’000’000
Actionnaire | Nombre d’actions | Investissement | Part en % |
---|---|---|---|
Fondateur 1 | 45’000 | 37.50% | |
Fondateur 2 | 45’000 | 37.50% | |
Investisseur 1 | 10’000 | CHF 500’000 | 8.33% |
Investisseur 1 (actions anti-dilution) | x | y | z |
Investor 2 | 20’000 | CHF 500’000 | 16.67% |
Total | 120’000 | CHF 1’000’000 | 100.00% |
Dans le cas d’une clause anti-dilution full ratchet, le prix par action payé par l’investisseur initial est hypothétiquement modifié pour devenir le prix payé par le nouvel investisseur (c’est-à-dire CHF 25). Le nouvel investisseur se voit donc émettre 10’000 actions anti-dilution supplémentaires à valeur nominale (par exemple CHF 2). En outre, le nouvel investisseur reçoit 2’005 actions supplémentaires pour son investissement de CHF 500’000 (de sorte que sa participation de 16,67% reste la même).
Évaluation de la société = 3’000’000
Actionnaire | Nombre d’actions | Investissement | Part en % |
---|---|---|---|
Fondateur 1 | 45’000 | 34.09% | |
Fondateur 2 | 45’000 | 34.09% | |
Investisseur 1 | 10’000 | CHF 500’000 | 7.58% |
Investisseur 1 (actions anti-dilution) | 10’000 | CHF 20’000 (valeur nominale CHF 2) | 7.58% |
Investor 2 | 22’005 | 500’000 | 16.67% |
Total | 132’005 | 100.00% |
Grâce à la clause anti-dilution full ratchet, l’ancien investisseur a pu augmenter sa participation à environ 15% en investissant seulement CHF 20’000 supplémentaires. Par conséquent, sa participation vaut encore (arrondie) CHF 450’000 après le down round.
La clause d’anti-dilution par moyenne pondérée est un peu plus compliquée. Sans entrer dans les détails de la formule, le nombre d’actions anti-dilution que l’ancien investisseur reçoit est calculé comme suit :
Actions anti-dilution = (investisseur 1 / Prix d’émission moyen pondéré) – Actions investisseur 1
Variation 2 : Exemple avec une clause d’anti-dilution par moyenne pondérée :
FroD’après l’exemple ci-dessus, nous savons que l’ancien investisseur a investi CHF 500’000 et a reçu 10’000 actions. Pour garder l’exemple simple, nous supposons un PEMP de CHF 40.90. Cela conduit au résultat suivant (arrondi) :
CHF 500’000/CHF 40.90 – 10’000 = 2’225 actions anti-dilution
Si l’ancien investisseur fait usage de sa protection anti-dilution, il a le droit de souscrire à 2’225 actions supplémentaires à valeur nominale (par exemple CHF 2) qui seront émises au cours du deuxième tour d’investissement. En outre, le nouvel investisseur reçoit 450 actions supplémentaires pour son investissement de CHF 500’000 (de sorte que la participation de 16,67% du nouvel investisseur reste la même).
Tableau de capitalisation après l’émission des actions anti-dilution
Actionnaire | Nombre d’actions | Investissement | Part en % |
---|---|---|---|
Fondateur 1 | 45’000 | 36.68% | |
Fondateur 2 | 45’000 | 36.68% | |
Investisseur 1 | 10’000 | CHF 500’000 | 8.15% |
Investisseur 1 (actions anti-dilution) | 2’225 | CHF 4’450 (valeur nominale CHF 2) | 1.81% |
Investisseur 2 | 20’450 | CHF 500’000 | 16.36% |
Total | 122’225 | CHF 1’004’450 | 100.00% |
Avec la clause d’anti-dilution par moyenne pondérée, l’ancien investisseur a presque pu maintenir sa participation (9,97% contre 10%). L’investissement de l’investisseur initial a néanmoins perdu de la valeur. Cependant, grâce aux 2’225 actions anti-dilution supplémentaires qu’il a reçu, sa participation de 9,97% vaut maintenant presque CHF 300’000, contre CHF 250’000 sans protection anti-dilution.
Conclusion
Si la société perd de la valeur au fil du temps, les nouveaux investisseurs peuvent y entrer à un prix comparativement bas. Si les investisseurs existants ne font pas usage de leurs droits de souscription (ou si ceux-ci ont été exclus à l’avance), leur action perdra une valeur disproportionnée (en plus de la perte du droit de vote). Une clause anti-dilution (qu’il s’agisse d’une clause anti-dilution full ratchet ou par moyenne pondérée) protège les investisseurs existants en ajustant hypothétiquement et rétroactivement le prix d’émission par action payé à l’origine et en leur permet d’acquérir des actions anti-dilution supplémentaires à valeur nominale à titre de compensation. Cela réduit la dilution et leur investissement initial perd moins de valeur.
Rappelez-vous, dans notre dernier article, nous avons parlé de l’évaluation et du prix et nous avons examiné le nombre d’actions qu’un investisseur obtient pour son investissement.